Paris Match. Quelle responsabilité prend-on, en tant que femme et journaliste, d’écrire un livre à charge contre la pilule ?
Sabrina Debusquat. Quand un journaliste fait une enquête sur un scandale financier à Bercy, on ne lui reproche pas de ne pas écrire que le ministère de l’Economie fait bien son travail le reste du temps ! Est-ce que les gens sont prêts à entendre que la pilule, accueillie comme un miracle depuis 60 ans, pose peut-être beaucoup plus de problèmes qu’on ne l’imagine ?
J’avoue qu’à mi-parcours de l’enquête, je n’étais plus sûre de vouloir publier tant le sujet est tabou. Puis j’ai décidé de ne pas reculer, de ne pas édulcorer la réalité que je découvrais. J’ai lu toutes les études sur les contraceptifs hormonaux, je les ai décortiquées avec l’aide de spécialistes indépendants. Je trouve assez étonnant qu’on rassure autant les femmes sur la pilule alors qu’après une année d’enquête, j’ai découvert énormément de failles dans les études. Je constate que tous les scientifiques indépendants qui parlent des hormones sont beaucoup plus prudents sur le sujet que ceux qui travaillent avec l’industrie pharmaceutique. Après, chacun se fait son opinion.
Votre livre démarre sur la genèse de la pilule, où l’on découvre que ceux qui ont participé à son lancement étaient aux antipodes des droits des femmes…
Après la Seconde guerre mondiale, on est dans une vision où la chimie est un progrès, une merveille. On est aussi dans un contexte de guerre froide et de peur du communisme qui se nourrit des masses populaires. Parallèlement, il y a des émeutes raciales. Parmi les classes « supérieures », les eugénistes de l’époque (surtout aux Etats-Unis) ont vu en cette chimie la possibilité d’avoir une pilule qui serait donnée aux masses, répondant certes aux droits des femmes, mais qui serait surtout utilisée comme un outil politique et eugéniste. Dans leur esprit, elle était destinée aux femmes dont on voulait réduire la fertilité, considérées comme « arriérées » par les classes blanches. C’est clairement écrit dans les publications de l’époque. Clarence Gamble, milliardaire et grand promoteur de la pilule, a fait partie de ligues qui ont stérilisé contre leur volonté des personnes de minorités ethniques. La pilule a été testée à Porto Rico dans des conditions déplorables, où l’on n’autopsiait pas les femmes qui décédaient, où les effets secondaires étaient classés « psychosomatiques »… Il n’était pas question du bien-être des femmes.
Soixante ans après, vous considérez que les effets secondaires de la pilule continuent d’être minimisés, voire ignorés…
Dans mon sondage réalisé auprès de plus de 3600 femmes sous pilule, 70% ont déclaré avoir subi des effets secondaires négatifs. On est loin des effets secondaires « rares ». Pourquoi ce décalage avec le discours médical ? Déjà, dans le domaine de l’impalpable (dépression, modification de la libido…), la science atteint des limites. Les patients peuvent ressentir des effets depuis des décennies et les médecins répondent que ce n’est pas lié au médicament car ce n’est pas démontré scientifiquement. Ce n’est pas parce que ce n’est pas prouvé par la science que cela n’existe pas. Si un effet ressenti disparaît à l’arrêt du médicament, c’est qu’il y a un lien. Ensuite, il existe peu d’études indépendantes, par exemple sur le lien entre la pilule et la libido ou entre la pilule et la prise de poids, parce que cela n’intéresse pas. Par ailleurs, si les promoteurs étaient obligés de publier toutes les études réalisées et non pas uniquement celle qui est favorable au produit, on aurait un tout autre regard sur la science !
L’effet secondaire, méconnu des femmes, est celui de la baisse ou de la perte de libido.
Les femmes sont nombreuses à le subir. Dans mon sondage, j’ai été stupéfaite de voir qu’il arrivait en première position parmi tous les effets secondaires. Cela concerne surtout les pilules de 4e génération. Le drame est que cet effet indésirable s’installe doucement et que la plupart des femmes ne s’en rendent compte qu’à l’arrêt de la pilule. Sur mon blog, une femme témoignait : « Super, l’effet secondaire “bénin” ! Quand ça mène un couple au divorce, ce n’est pas bénin… » En Italie, un scientifique indépendant montre même que sous certaines pilules de 4e génération et anneaux vaginaux, on observe une diminution du nombre d’orgasmes dans le mois ainsi qu’une dévascularisation du clitoris…
On attribue à la pilule un effet protecteur sur les cancers de l’ovaire et de l’endomètre, ce que vous mettez en doute…
Je suis allée voir du côté des chercheurs indépendants car je sais que beaucoup d’études sont réalisées par les industriels. Or que disent-ils ? Les études qui concluent à une protection sur les cancers de l’ovaire et de l’endomètre ont comparé un groupe de femmes sous pilule à un groupe de femmes dont la moitié était sous hormones similaires ou étaient sous pilule avant. Ce sont des biais énormes ! Quand on modifie une hormone, on touche à tout un processus biologique. Selon la femme, ses fragilités, le produit qu’elle prend, cela créera tel effet. Depuis les années 60, de nombreuses études montrent que les hormones diminuent l’immunité. Etrangement, il y a une augmentation des maladies immunitaires chez les femmes depuis ces années-là. Mais cette période correspond aussi à l’arrivée de nombreux perturbateurs endocriniens dans notre environnement donc, rétrospectivement, on ne peut pas savoir. On l’a vu récemment avec le classement de l’enquête sur les accidents liés aux pilules de 3e et 4e générations. Tout ce dont on peut souffrir sous pilule ou sous hormones sont des choses dont on peut souffrir à cause d’autres perturbateurs endocriniens présents dans notre environnement. Les corrélations étranges qui existent entre l’utilisation des hormones et la survenue de maladies devraient nous inciter à la prudence car les données scientifiques indépendantes sur l’impact des hormones synthétiques ne sont pas rassurantes. On parle même d’effets génotoxiques, c’est-à-dire qui se transmettent aux générations suivantes.
Le symbole de la libération sexuelle des femmes en prend un sacré coup ! Pourtant, on sent vos convictions féministes. Que revendiquez-vous ?
Je ne revendique rien, j’analyse et je donne des informations qui se recoupent entre elles, mais qui sont difficiles à intégrer car la pilule est entourée d’une aura progressiste et sociale. Ce n’est pas au nom de ce progrès qu’il ne faut pas considérer les données actuelles ni mettre en œuvre une meilleure contraception. Je sens, à travers la génération no pilule qui émerge depuis les années 2000, une vague de femmes dont je fais partie qui n’acceptent plus de souffrir ou de prendre des risques quels qu’ils soient pour leur contraception. Ces femmes, encore plus féministes, encore plus écolos, ont aussi plus de recul que leurs aînées. Le tabou est tel que les féministes des années 70 ne se prononcent jamais sur le sujet. Si on croit que la pilule est un produit miraculeux et que l’on ne cherche pas à développer mieux, la contraception sans effets secondaires n’arrivera pas. En attendant, celles qui ne veulent pas d’hormones sont obligées de se débrouiller avec des alternatives qui sont parfois des pis-aller. Quand elles ne supportent pas le DIU cuivre, elles se tournent vers les méthodes naturelles, faute de mieux. Déjà, laissons-les choisir. Si elles décident d’arrêter la pilule, accompagnons-les sans les juger ni les culpabiliser comme c’est souvent le cas aujourd’hui. Ne restreignons pas, par idéologie, des solutions auxquelles elles peuvent avoir accès car il n’y en a pas beaucoup. Je suis féministe et je pense qu’un produit qui tue entre dix et vingt femmes par an, ou qui rogne leur bien-être au quotidien, ce n’est pas le top du féminisme. Si on pouvait faire mieux, ce serait bien.