Les produits laitiers « nos amis pour la vie » ? Autrefois idéalisé, le lait – et ses produits dérivés – sont devenus un sujet de préoccupation. Favorise-t-il diabète cancers et autres maladies ? Décryptage.

Le lait est-il vraiment une boisson saine ?

En 1954, c’était limpide, il fallait en boire pour « être fort, studieux et vigoureux » : Pierre Mendès-France, président du Conseil, instituait le verre de lait à l’école, une potion contre la malnutrition. Dans les années 1980, les producteurs chantaient « les produits laitiers sont nos amis pour la vie » sans être contredits.

Mais quelques décennies plus tard, l’image du lait s’est troublée. Il a ses détracteurs parmi les scientifiques, les médecins, les naturopathes, les journalistes. Désormais, il ne s’écoule pas trois mois sans qu’une étude n’en critique les bienfaits attendus, comme récemment pour l’ostéoporose. Des livres ont disséqué le discours du lobby laitier, qui finance largement la recherche publique et notamment l’Inra (1). Des forums sur Internet accusent le lait de provoquer une kyrielle de pathologies, des otites aux cancers. Certains sites l’assimilent même à « du pus, de la colle, des hormones ».

« Le lait a toujours eu une image duale, entre souillure et pureté, mais depuis une quinzaine d’années, il est devenu un sujet de préoccupation, principalement chez les urbains dotés d’un bon pouvoir d’achat et d’un certain niveau socioculturel », note le sociologue de l’alimentation, Jean-Pierre Corbeau, de l’université François-Rabelais, à Tours (2).

« Depuis la crise de la vache folle, on questionne les modes de production animale, analyse l’anthropologue Jean-Pierre Poulain (2), de l’université de Toulouse-le Mirail. Les transformations que fait subir l’industrialisation au lait ont entamé l’image d’un aliment sain et naturel.»

Une véritable guerre pour… un pot de yaourt en plus ou en moins

Pour lui, la « nutritionnalisation » du discours des promoteurs des produits laitiers s’est retournée en partie contre eux, les citoyens devenant plus critiques à mesure que s’affinaient les connaissances. Selon des sondages confidentiels du Cniel (Centre national interprofessionnel de l’économie laitière) que nous sommes parvenus à obtenir, ils seraient 10% des Français à penser que le lait n’est pas forcément bon pour la santé en 2013. Le Cniel se bat ainsi sur tous les fronts pour « contrer certains discours de remise en cause et installer le repère de santé publique « 3 produits laitiers par jour” » (3), se désolant que les Français « n’en consomment, en moyenne, que 2,1 par jour ». Une véritable guerre déclarée pour… un pot de yaourt en plus ou en moins par jour ? Qu’on ne s’y trompe pas : « Cette différence correspond en France à plus de deux milliards de litres de lait par an pour le profit des producteurs et transformateurs laitiers », estime Léon Guéguen, de l’Inra (4). Mais quelle différence cela fait-il pour la santé ? Le lait peut-il être une potion ou un poison ? Favorise-t-il certaines maladies et si oui, à quelle dose ?

(1) Lait, mensonges et propagande, Thierry Souccar, Thierry Souccar éditions, 2008.

(2) Tous deux sont membres de l’Ocha, l’observatoire Cniel des habitudes alimentaires, financé par les industriels du lait.

(3) Préconisations du Programme National Nutrition et Santé (4) sciav.fr/808lait

1. Le LACTOSE perturbe la digestion de la moitié des adultes français

« Il est naturel pour la majorité des adultes de mal digérer le lait, ou plutôt son sucre, le lactose », affirme le gastro-entérologue Nicolas Mathieu, du laboratoire d’exploration digestive du CHU de Grenoble. Pour être absorbé, ce glucide doit en effet être coupé par une enzyme, la lactase. Or, celle-ci, à son taux maximal chez le nouveau-né, diminue naturellement après le sevrage chez la majorité des adultes jusqu’à ne plus atteindre que 5 à 10% de sa valeur initiale.

L’ »hypolactasie primaire » ou « déficience en lactase » n’est donc pas du tout une maladie, mais un « déclin programmé » qui concerne les deux tiers de la population mondiale, pour lesquels le lait n’est pas forcément un ami à vie. Car lorsque le lactose arrive intact dans le gros intestin, les entérobactéries (bactéries coliques) le décomposent en acides (lactique, acétique, pyruvique) et en gaz (dioxyde de carbone, méthane, hydrogène). Ce qui peut provoquer maux de ventre, ballonnements et diarrhées. La fréquence du phénomène varie fortement selon le mode de vie et les régions, touchant environ 20% des adultes dans le nord de la France contre 50% dans le sud.

« Attention cependant à ne pas confondre mauvaise digestion et intolérance réelle », insiste le professeur Philippe Marteau, chef du département hépatogastro- entérologie à l’hôpital Lariboisière à Paris et expert pour Danone. « En France, 30 à 50-% des adultes ont une activité lactasique intestinale basse, avec une digestion incomplète du lactose, mais le plus souvent asymptomatique, assure-t-il. Et seuls 20% de ces « mal absorbeurs” ont des signes d’intolérance (douleurs, diarrhées, etc.) s’ils consomment 12g de lactose en une prise, soit l’équivalent d’un quart de litre de lait. »

DIAGNOSTIC. Des chiffres qui rejoignent ceux de l’Efsa, l’autorité de sécurité européenne des aliments. « On peut donc calculer qu’environ 6 à 10% des adultes français peuvent avoir une intolérance à cette dose », estime le Pr Philippe Marteau. Mais entre mal-digestion, malabsorption et intolérance, le buveur de lait peut être perdu… Gare aux autodiagnostics et aux régimes d’éviction décidés sans même les conseils d’un diététicien, avertit Nicolas Mathieu. Car l’intolérance au lait peut être la conséquence secondaire de pathologies digestives passagères comme les gastrites, ou chroniques comme la maladie de Crohn, la maladie cœliaque (intolérance au gluten) ou le syndrome de l’intestin irritable.

« Un spécialiste devra rechercher de telles pathologies avant même de tenter de dépister une intolérance primaire au lactose par le biais de tests respiratoires [qui détectent un fort taux d’hydrogène expiré, signe de fermentation]», explique le praticien. Après un test positif ou en cas de forte suspicion, un médecin peut prescrire une diète d’un mois sans produits laitiers, puis réintroduire un peu de fromage, moins riche en lactose (voir infographie ci-dessous). Enfin, certains sites et boutiques vendent des supplémentations de lactase, mais il n’existe aucune littérature scientifique probante sur leurs effets.

© Sylvie Daoudal pour Sciences et Avenir

2. Ses protéines peuvent provoquer de graves allergies

L’allergie au lait de vache, à ne pas confondre avec l’intolérance au lactose, est due à la présence de protéines dont les plus allergisantes sont les caséines et la bêta-lactoglobuline. De 1 à 3 % des nourrissons – soit 8 000 à 24 000 nouveau-nés en France chaque année, y sont sensibles. Elle représente ainsi la quatrième allergie alimentaire chez l’enfant (derrière l’œuf, l’arachide et le poisson) et guérirait avant l’âge de 6 à 10 ans dans 80 à 90 % des cas. Elle reste rarissime chez l’adulte, en 15e position dans la liste des allergènes, loin derrière les fruits à coque ou les céréales.

A noter qu’il existe une forte homologie entre les protéines de lait de vache et celles de lait de chèvre, de brebis et de buflonne qu’il vaut mieux éviter. «Les symptômes sont des douleurs abdominales et diarrhées, des congestions nasales, toux et attaques asthmatiques, de l’urticaire ou eczéma. Ils peuvent survenir de quelques minutes jusqu’à deux heures après l’ingestion», détaille Anna Nowak-Wegrzyn, professeur spécialiste des allergies à l’école de médecine du Mont Sinaï (New York). La suspicion chez le nourrisson doit impérativement être confirmée par un allergologue, car l’éviction du lait (riche en calcium et autres nutriments), réputé indispensable pour la croissance de l’enfant jusqu’à 3 ans, nécessite un régime adapté.

3. Le lait n’est pas la seule source de calcium

Le lait est-il un aliment essentiel, y compris pour l’adulte ? Pour de nombreux nutritionnistes (1), les Français ne sauraient se passer de produits laitiers – dont le calcium (Ca) est particulièrement bien absorbé par l’intestin – car ils mangent trop peu de fruits et de légumes dont le calcium est par ailleurs moins bien assimilé par l’organisme… Imparable ? Pas sûr. D’abord, « il n’y a pas suffisamment de données pour mettre un coefficient sur la biodisponibilité du calcium selon la source, dire par exemple qu’elle est de 10% dans les végétaux, 30% dans les produits laitiers », admet Véronique Coxam, responsable de l’Unité de nutrition humaine de l’Inra. Ensuite, on peut le puiser dans une alimentation variée.

Enfin, le besoin nutritionnel moyen (2) – celui qui assure un équilibre avec les pertes naturelles de calcium à travers les urines, la sueur, les selles – a été évalué à 700 mg par jour… mais pourrait être moindre, selon la logique des nutritionnistes, avec un régime allégé en sel et en protéines animales, réputées acidifier l’organisme et favoriser les fuites calciques (lire l’encadré ci-dessous). « A ce sujet, n’est-il pas contradictoire d’encourager la consommation de caséines laitières si elles augmentent la « calciurie »? « Cet éventuel effet des protéines du lait est compensé par l’effet opposé du phosphore accompagnant le calcium » assure Léon Gueguen, l’un des spécialistes du sujet en France. Le plus simple pour tous est encore de veiller à un bon apport en vitamine D, qui permet d’optimiser l’absorption intestinale du calcium. »

SOURCE : DEMIGNÉ – COXAM/INRA – INFOGRAPHIE : SYLVIE DAOUDAL

(1 et 2) Lire Le Lait: vrais et faux dangers, Jean-Marie Bourre, Odile Jacob, 2010.

4. Son rôle dans la prévention de l’OSTÉOPOROSE est modeste

C’est la seule véritable controverse scientifique au sujet du lait. Des études épidémiologiques ont d’abord souligné que les Occidentaux avaient plus de fractures que les Asiatiques, dont les apports calciques sont pourtant moindres. En 2000, deux méta-analyses ont conclu à des résultats opposés. La dernière en date (2005) s’est focalisée sur 37 études parmi les plus sérieuses, portant sur des enfants et des adolescents, et a établi qu’un effet positif modéré sur l’os n’était relevé que dans neuf études cliniques. Sur un autre front, une équipe de l’université Harvard (États-Unis), menée par une sommité en nutrition, Walter Willett, multiplie les études contestant l’intérêt du calcium laitier pour la santé osseuse et contre l’ostéoporose.

RHUMATOLOGIE. La plus récente, publiée dans Jama Pediatricsen 2013 et portant sur 96000 sujets, montre que consommer du lait à l’adolescence ne fait pas baisser le risque de fractures de la hanche à l’âge adulte chez les femmes et, pire, l’augmenterait de 9% chez les hommes. Les chercheurs suggèrent que le lait, en favorisant une croissancerapide, donnerait des os longs et plus fragiles… Ces résultats ont été très décriés, car les sujets de l’étude, adultes, ont été interrogés rétrospectivement sur leur consommation laitière entre 13 et 18 ans. «Il est difficile de relier des habitudes alimentaires (ou d’autres facteurs) durant l’adolescence et un événement qui surviendra trente à trente-cinq ans plus tard», critique le professeur Bernard Cortet, rhumatologue au CHRU de Lille et secrétaire général du Grio (Groupe de recherche et d’information sur les ostéoporoses).

La simple consommation de calcium ne constitue pas un traitement préventif ou curatif de l’ostéoporose. (Bernard Cortet)

Dans ce cas, prétendre qu’il est bénéfique de consommer du lait dans sa jeunesse pour éviter fractures et ostéoporose au soir de sa vie n’est-il pas tout aussi difficile à étayer sur le plan scientifique?

Les travaux probants sont en réalité peu nombreux, mais «quelques études d’intervention montrent que pour avoir un effet maximal sur l’os, l’optimisation des apports en calcium doit se faire avant la puberté chez les jeunes filles», signale Bernard Cortet. Et de conclure: «Des apports insuffisants en calcium constituent un facteur de risque de fracture par fragilité, mais la simple consommation de calcium ne constitue pas un traitement préventif ou curatif de l’ostéoporose. »

5. Il favorise le DIABÈTE de type I, mais protège contre celui de type II

L’ingestion de protéines de lait de vache au plus jeune âge semble favoriser le diabète de type 1 – dit insulino-dépendant – chez les sujets à risque, ont montré, en 2011, les premiers résultats de l’étude internationale TRIGR. « Les enfants génétiquement prédisposés nourris avec un lait hydrolysé – c’est-à-dire dans lequel les protéines laitières de vache ont été fragmentées en morceaux trop petits pour stimuler le système immunitaire – voient leur risque de développer la maladie diminuer de 50 % par rapport à ceux qui reçoivent un lait artificiel classique », explique le professeur Mikael Knip, de l’université d’Helsinki (Finlande), qui a publié ses conclusions dans l’American Journal of Nutrition.

L’essai contrôlé randomisé a démarré en 2002 en Finlande, premier pays consommateur de lait de vache et détenteur du record mondial de cette maladie auto-immune, et s’est étendu à 2159 enfants à risque dans 15 pays. Il finira lorsque modestes, la seconde met en évidence des effets significatifs : les cas de diabète de type 2 seraient 1,1 fois moins fréquents chez ceux qui consomment 400 g de produits laitiers de tous types par jour, et presque 1,3 fois moindre chez ceux qui consomment 200 g de yaourt par jour ; ce laitage semblant avoir l’effet le plus bénéfique. Bref, pour éviter le « diabète sucré », mieux vaut manger un yaourt qu’un gâteau au chocolat au dessert.

6. Les produits laitiers frais protègent des maladies du cœur

À Lille, Strasbourg et Toulouse, les plus gros mangeurs de lait, yaourts et fromage blanc ont une mortalité totale réduite d’environ de moitié. C’est la conclusion de l’étude MONA LISA-NUT (Monitoring national du risque artériel-nutrition) portant sur 3078 Français des deux sexes, âgés de 35 à 64 ans. Présentée en avant-première en janvier aux Journées européennes de la Société française de cardiologie, elle met en évidence un risque de mortalité cardio-vasculaire à dix ans diminué de 30 % chez les plus grands consommateurs de produits laitiers frais par rapport aux plus petits. « Cette réduction est essentiellement imputable à une LDL-cholestérolémie plus faible [ce LDL cholestérol appelé autrefois « mauvais cholestérol »], estime le cardiologue Jean Ferrières, de l’Inserm.

De façon contre intuitive, une consommation élevée de fromage augmente la HDL-cholestérolémie (Jean Ferrières).

La consommation de fromage a un effet neutre sur les facteurs de risque dans cette étude et sur le LDL-cholestérol, « mais, de façon contre intuitive, une consommation élevée de fromage (avec plus de 60 g/j) augmente la HDL-cholestérolémie », précise le chercheur.

Globalement, la mortalité est diminuée de 59 % au cours des quinze ans de suivi chez les sujets consommant le plus de produits laitiers mais aussi du pain des fruits et des légumes. Car l’étude montre surtout que les consommateurs de produits laitiers ont un bien meilleur équilibre alimentaire. Ces résultats confortent ceux de l’étude MONICA (Monitoring of trends and determinants of cardiovascular diseases), menée dans les mêmes régions françaises à partir de 1985 et portant sur 976 hommes de 45 à 65 ans. À l’issue des quinze ans de suivi, la mortalité, toutes causes confondues, était réduite de 39 % pour les buveurs de lait, de 51% pour les consommateurs de yaourt et de fromage blanc et de 39 % pour les amoureux du fromage, mais les fruits et légumes et le pain avaient également un effet bénéfique.

 

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