Le ministère de la Santé a encore annoncé mercredi dernier des mesures restrictives des libertés individuelles et collectives qu’il prétend fondées scientifiquement sur l’analyse de l’épidémie de coronavirus. Cette prétention est contestable. Nous pensons au contraire que la peur et l’aveuglement gouvernent la réflexion, qu’ils conduisent à des interprétations erronées des données statistiques et à des décisions administratives disproportionnées, souvent inutiles voire contre-productives.

Que savons-nous de cette épidémie et de son évolution ?

Le SARS-CoV-2 menace essentiellement les personnes dont le système immunitaire est fragilisé par le grand âge, la sédentarité, l’obésité, des comorbidités cardio-respiratoires et des maladies sous-jacentes de ces systèmes. Il en découle que la priorité sanitaire est de protéger ces personnes fragiles, dont le respect des gestes barrières et le lavage régulier des mains sont deux des clés.

Le SARS-CoV-2 circule dans le monde depuis environ un an. Il continuera à circuler, comme l’ensemble des autres virus qui vivent en et autour de nous, et auxquels nos organismes se sont progressivement adaptés. L’espoir de faire disparaître ce virus en réduisant à néant la vie sociale est une illusion. D’autres pays, en Asie comme en Europe, n’ont pas eu recours à ces pratiques médiévales et ne s’en sortent pas plus mal que nous.

Quant à l’évolution, l’idée d’une « deuxième vague » n’est pas un constat statistique reproduisant l’événement de mars et avril 2020, mais une théorie catastrophiste issue de modélisations fondées sur des hypothèses non vérifiées, annoncée dès le mois de mars et ressortie des cartons à chaque étape de l’épidémie : en avril lors du soi-disant « relâchement » des Français, en mai avant le déconfinement, en juin pour la fête de la musique, en été pour les clusters de Mayenne ou les matchs de foot, et à nouveau cet automne face à une augmentation significative, mais lente, et grevée d’incertitudes diagnostiques. Il s’agit d’une aberration épidémiologique et, même si elle nous est promise chaque semaine, il n’y a pour l’instant aucune « deuxième vague » comparable au tsunami du printemps.

On ne compte plus les mêmes choses

Nous voyons enfin que, pour des raisons difficiles à cerner (panique, pression politique ou médiatique… ?), les autorités sanitaires françaises ne parviennent pas à stabiliser une communication honnête sur les chiffres de l’épidémie et les mesures qu’ils justifieraient. Elles ont surtout abandonné l’indicateur fondamental, la mortalité, pour ne retenir que celui de la positivité de tests pourtant incapables de distinguer les sujets malades des personnes guéries. Une nouvelle aberration consiste ainsi à s’étonner du fait qu’on trouve davantage aujourd’hui ce qu’on ne cherchait pas hier.

Les autorités sanitaires ne s’interrogent pas non plus sur la surmortalité à venir des autres grandes causes de décès(cancers, maladies cardio-vasculaires) dont la prise en charge est délaissée, ni sur le fait qu’une partie des sujets classifiés parmi les personnes « décédées de la Covid » sont en réalité mortes en raison d’une autre pathologie mais classifiées Covid parce qu’elles étaient également porteuses du virus. Or ce groupe pourrait constituer jusqu’à 30% des décès au Royaume Uni ces dernières semaines, et plus encore aux États-Unis. En réalité, comme cela est écrit en toutes lettres sur le site de l’INSEE, la période actuelle n’est suivie d’aucune augmentation de décès au regard des années précédentes : « entre le 1ᵉʳ mai et le 7 septembre 2020, 200 594 décès sont enregistrés en France, soit le même niveau qu’en 2019 ».

Il découle de tout ceci qu’il n’y a pas de sens à paralyser tout ou partie de la vie de la société en suivant des raisonnements erronés dans leur prémisses même. Il est urgent d’arrêter l’escalade, d’accepter de remettre à plat nos connaissances scientifiques et médicales, pour redéfinir démocratiquement une stratégie sanitaire actuellement en pleine dérive.

Premiers signataires

  • Laurent Toubiana, chercheur épidémiologiste à l’INSERM, directeur de l’IRSAN
  • Jean-François Toussaint, professeur de physiologie à l’Université de Paris, ancien président des Etats Généraux de la Prévention
  • Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS
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